
Suzanne Gammon
Tribune
Dès ce 1er février, les visiteurs peuvent entrer dans le Foyer pour personnes âgées Au Château même s’ils n’ont pas reçu de vaccin contre la COVID-19, puisque le conseil d’administration du foyer a voté pour éliminer l’obligation vaccinale lors d’une réunion extraordinaire tenue le 27 janvier.
La décision est venue en pleine période de controverse et de chamboulements au sein de l’institution : le directeur général Jacques Dupuis est en arrêt maladie et le foyer a émis une déclaration pour dire que ses employés subissaient du harcèlement et que la réputation de l’organisme était attaquée, ce qui avait partiellement motivé le changement de politique.
Au cours des dernières semaines, Au Château faisait l’objet de critiques virulentes pour son refus de laisser entrer des visiteurs non-vaccinés, même si le foyer avait fourni une salle adjacente pour que ces personnes puissent être reçues par des résidents. Les opposants trouvaient cette salle, appelée le Coin des amis, inadéquate pour pouvoir fournir des soins à leur proche en toute intimité. Ils revendiquaient de pouvoir entrer à l’intérieur du foyer, insistant qu’ils ne représentaient pas plus de risque que les personnes vaccinées.
Devant la pression exercée par ce groupe, qui a organisé des manifestations devant le foyer, le tout nouveau conseil d’Au Château avait délibéré sur l’obligation vaccinale lors de sa première réunion le 18 janvier. La moitié des membres voulaient l’abolir à l’instant même, alors que l’autre moitié préconisait une approche progressive après consultation du personnel. Les représentants municipaux Anne Tessier et Fern Pellerin et la représentante provinciale Catherine Neddow ont voté pour l’abolition immédiate, alors que les représentants municipaux Kathleen Thorne Rochon et Jamie Restoule et le représentant provincial Ron Demers ont voté contre, rejetant ainsi la proposition.
La réaction a été immédiate : les opposants se sont déferlés sur les trois derniers en promettant d’autres manifestations jusqu’à ce que la décision soit renversée. Le président du conseil, Ron Demers, a dit qu’il a reçu des appels, «certains polis, certains moins polis,» et il présumait que les autres en avaient reçus aussi.
Quelques jours plus tard, le directeur général d’Au Château, Jacques Dupuis, était en arrêt maladie. Le conseil a convoqué une réunion extraordinaire le 27 janvier, tenant une session à huis-clos pour discuter des ressources humaines et ensuite une session publique pour rouvrir le débat sur l’obligation vaccinale.
M. Demers n’a pas pu donner de détails sur l’arrêt de M. Dupuis, puisque ces informations sont protégées, mais il a lu une note de service rédigée par le directeur général. «Je serai en arrêt maladie pour une période de temps indéterminée, et je nomme Mme Cindy Brouillette comme directrice générale par intérim,» d’écrire M. Dupuis.
Employée d’Au Château depuis 27 ans, Mme Brouillette est Directrice des soins depuis 4 ans, fonction qu’elle conservera tout en assumant celles de M. Dupuis. Suite à la réunion, M. Demers a dit qu’il avait pleinement confiance en Mme Brouillette pour prendre la barre. «Nous sommes en bonnes mains,» a-t-il assuré le lundi 30 janvier.
Le seul sujet à l’ordre du jour de la réunion publique, c’était une modification à la politique vaccinale, qui selon M. Demers avait été rédigée par M. Dupuis «après consultation avec le personnel cadre.» Mme Brouillette a expliqué que le changement permettrait l’entrée des visiteurs non-vaccinés, mais toutes les autres mesures de contrôle des infections, dont le test de dépistage et le port du masque à l’intérieur, resteraient en vigueur.
M. Demers a précisé que son vote à la réunion précédente avait servi à donner du temps pour consulter le personnel, et qu’il se sentait plus à l’aise d’adopter une modification rédigée par l’administration. Il a souligné que la politique existante avait été adoptée à l’unanimité par l’ancien conseil au mois d’octobre 2022, et que le directeur général était responsable de sa mise en œuvre et non de son adoption. Il a aussi mentionné que la politique avait reçu l’aval de plusieurs professionnels et qu’elle avait bien servi, aidant à minimiser la propagation de la COVID-19 et ses variants et permettant à Au Château d’échapper au pire, contrairement à bien d’autres foyers dans la province. Néanmoins, selon lui, il était temps de revoir la politique : «nouveaux membres, nouvelles idées, nouvelle orientation,» a-t-il affirmé.
Mme Brouillette a souligné que le changement proposé n’entrerait en vigueur que le 1er février, donnant quelques jours pour la planification logistique et la communication avec les partenaires communautaires et les familles.
Le changement est adopté rapidement
Lorsque M. Demers a fait un tour de table, il y a eu très peu de commentaires sur la proposition. Mme Tessier a commencé à parler de «la façon dont la COVID est transmise…» avant d’être interrompue par un rappel à la procédure lancé par Mme Thorne Rochon. Mme Tessier avait parlé longuement contre l’obligation vaccinale pendant la réunion précédente, appelant le vaccin contre la COVID-19 «une drogue expérimentale» et affirmant qu’elle se sentait dupée par le gouvernement sur les bienfaits promis du vaccin. Mme Thorne Rochon n’a pas voulu en entendre davantage. «Je pense que nous avons tous entendu les opinions médicales à ce sujet au cours des trois dernières années et je ne pense pas (…) que nous ayons besoin d’entendre ressasser encore les opinions médicales d’une personne qui n’est pas une professionnelle en santé,» a-t-elle déclaré en demandant que la discussion s’en tienne à la proposition.
Or, elle avait quelque chose à dire sur le changement de politique, rappelant qu’à la réunion précédente, plusieurs membres avaient parlé de lever l’obligation vaccinale pour les fournisseurs de soins essentiels en premier, avant d’ouvrir les portes aux visiteurs généraux non-vaccinés. Elle préconisait toujours cette approche. Selon Mme Thorne Rochon, le changement «devrait se faire progressivement suivant les conseils de notre administrateur et notre personnel et aussi en consultation avec nos familles, nos résidents et les fournisseurs de soins de tous nos résidents.»
Seule à parler contre la proposition, elle a déploré que le conseil semblait céder à de l’intimidation. «Je ne suis pas d’accord pour modifier des règlements seulement à cause de pressions politiques, et je trouve que l’approche prise face à cette révision des mesures est très réactionnaire… J’aurais aimé qu’on prenne un peu plus de temps et un peu plus de réflexion pour le faire (…) d’une façon progressive et mesurée qui tiendrait compte des désirs de tous nos résidents.»
Mme Thorne Rochon a donc été seule à voter contre la modification, qui a été adoptée après moins de 16 minutes de délibérations.
«Je pense que nous avons fait ce que nous devions faire étant donné les circonstances,» de conclure M. Demers avant de lever la session.
La réputation et les employés d’Au Château sous attaque
Dans une déclaration émise après la décision, la direction d’Au Château a précisé que le changement visait deux objectifs, soit «préserver l’excellente réputation du Foyer (…) face à des attaques sur cette réputation» et «adresser le harcèlement que les employés ont dû subir, menant à des risques pour leur sécurité.»
Lorsqu’on l’a questionnée sur les raisons évoquées, Mme Brouillette a mentionné de l’abus verbal et une inquiétude croissante quant à la sécurité du personnel. «Le monde ont eu peur pour leur sécurité,» a-t-elle dévoilé. «Il y a du monde qui avait peur d’aller à leur auto» après leur quart de travail. Elle a mentionné de l’abus verbal par téléphone, affirmant que des infirmières avaient dû quitter le chevet de résidents pour aller prendre des appels et se faire lancer des injures. «Il y avait des effets sur la réputation [du foyer] et la sécurité du personnel; il fallait prendre une décision,» a-t-elle résumé.
M. Demers a indiqué que des incidents d’harcèlement avaient été signalés à la police, mais il ne savait pas si cela mènerait à une enquête. Il a toutefois confirmé que ces incidents avaient joué dans la décision du conseil. «Notre priorité, c’est la santé et le bien-être de nos résidents mais aussi de notre personnel. Afin d’offrir des soins de qualité, il nous faut les personnes qui donnent ces soins. Si nous perdons des employés à cause du harcèlement…», cela finirait par compromettre la qualité des soins, a-t-il avancé.
Devant les critiques qui accusent le conseil d’avoir cédé à la pression politique, M. Demers avoue que le lobbying «a précipité la décision,» mais il insiste que le bien-être des résidents et du personnel était la première préoccupation. «Tout a été fait avec la plus grande diligence,» a-t-il assuré. Il a mentionné que la politique sur la gestion de la pandémie avait été adoptée il y a environ trois ans, et qu’elle avait été modifiée au moins 12 fois depuis ce temps, un document évolutif en constante révision à la lumière de circonstances changeantes, de nouveaux variants et de nouvelles directives gouvernementales.
La décision fait des heureux
Pour Jamie Lee Desroches, Lise Rhéault et d’autres fournisseurs de soins non-vaccinés, le 1er février était un jour de grande émotion. Mme Rhéault avait mené un dur combat pour pouvoir entrer dans le foyer et soutenir sa mère de 84 ans, atteinte de la maladie d’Alzheimer, car celle-ci refusait souvent d’aller au Coin des amis et ne comprenait pas pourquoi sa fille ne venait plus la voir et s’occuper d’elle dans sa chambre.