
Suzanne Gammon
Tribune
Juste avant Noël, une éclosion de COVID-19 a été déclarée au foyer Au Château, forçant l’institution de soins de longue durée à resserrer ses mesures sanitaires au moment même où les familles cherchaient à se réunir et où la pression montait pour faire abolir l’obligation vaccinale pour entrer dans le foyer.
Des personnes non-vaccinées disent qu’on leur prive de leur famille
Un membre de la famille d’un résident désigné comme fournisseur de soins peut normalement entrer librement dans le foyer pour aider à s’occuper du résident. Jamie Lee Desroches dit qu’elle y allait presque tous les jours pour passer du temps avec sa sœur, mais depuis qu’Au Château a interdit l’entrée aux personnes non-vaccinées, elle ne peut plus fournir ces soins et ce réconfort. Maintenant, comme tous les autres visiteurs non-vaccinés, elle ne peut voir sa sœur que dans un endroit désigné, baptisé le Coin des amis, qui doit être réservé et auquel on accède de l’extérieur d’Au Château.
«Tout ce que je veux, c’est de pouvoir entrer dans le foyer, marcher dans le couloir et m’asseoir avec ma sœur, lui appliquer de la lotion et soulager sa douleur dans un endroit confortable et sécuritaire pour elle, tout comme je le faisais tous les jours avant l’adoption de cette politique,» déplore-t-elle.
Mme Desroches s’inquiète de l’état de santé de sa sœur, ce qui l’a incitée à s’adresser au ministère de la Santé et des Soins de longue durée. «La santé de ma sœur décline et c’est ce qui me motive à agir de manière urgente,» dit-elle. Selon elle, il y a déjà eu plusieurs cas de COVID-19 dans le foyer, ce qu’elle voit comme une preuve de l’inefficacité des mesures.
Le ministère n’a pas pu intervenir; il a répondu à Mme Desroches que les institutions de soins de longue durée ont le droit d’adopter de telles mesures sanitaires. «La réponse, c’était toujours que je devrais plutôt m’adresser à un avocat parce que le ministère n’a aucune autorité pour obliger le foyer à changer sa politique,» résume-t-elle. Or, elle souligne que le foyer a le droit de ne pas appliquer ces restrictions autant qu’il a le droit de les appliquer; c’est donc un choix qu’il fait alors que d’autres institutions de soins de longue durée ont déjà levé l’obligation vaccinale.
Lise Rhéault se sent aussi lésée en tant que personne non-vaccinée ; elle dit que les restrictions l’empêchent de voir sa mère qui souffre d’Alzheimer. Elle explique qu’il n’est pas toujours possible de rencontrer sa mère au Coins des amis, car la femme de 84 ans doit passer dans un couloir externe pour y accéder, puis l’air froid la fait rebrousser chemin. «Elle refuse de sortir, c’est trop froid. Elle ne comprend pas pourquoi moi je n’entre pas et ça la bouleverse. C’est très dur pour elle,» dit Mme Rhéault. «Chaque semaine, je conduis jusque-là [de Sudbury] et j’essaie.»
La situation était moins pire l’été parce que sa mère sortait plus facilement, mais Mme Rhéault dit que pendant ses sept dernières visites avant Noël, «elle est sortie une fois pour environ 15 minutes.» C’est démoralisant pour la fille et la mère. «Ensuite, je reconduis chez moi en pleurant tout le long.»
Mme Rhéault est aussi inquiète pour la santé et le bien-être de sa mère, du fait qu’elle ne puisse pas s’en assurer elle-même. «J’achète des vêtements et je les dépose, je ne sais même pas si ça lui va,» donne-t-elle comme exemple. «Je ne peux pas l’examiner et il y a des choses qu’elle refuse de montrer sauf à moi.» Elle parle d’une infection que personne n’a pu déceler parce que sa mère n’a pas voulu se laisser examiner sous les seins. «Maintenant, je paie une femme pour y aller tous les jours pour me dire si ma mère a besoin de quelque chose.»
Elle reste toutefois rongée d’inquiétude. «Je ne dors plus comme il faut,» dit-elle, ajoutant que l’état de sa mère se détériore. «Elle a besoin de moi tout de suite. On m’a dit, lorsqu’elle sera à l’hospice, tu pourras entrer la voir. Je ne pourrai pas entrer avant qu’elle ne soit mourante ! C’est complètement inhumain.»
Quelques jours avant Noël, la famille a réussi à attirer leur mère au Coin des amis en jouant de la musique, et Mme Rhéault dit qu’ils étaient environ 20 à passer du temps avec elle. Cependant, le jour de Noël, la fille a fait le trajet en voiture pour «une visite d’une minute dans l’entrée. Maman n’a pas voulu aller au Coin des amis (…) Nous étions entre deux portes donc il faisait trop froid pour une visite. Je lui ai fait un câlin, je lui ai donné son cadeau et je suis retournée à Sudbury. C’est triste. Elle était bouleversée parce que je n’entrais pas. Ça me brise le cœur chaque fois.»
Mme Rhéault dit qu’autrefois, elle sortait sa mère pour l’emmener chez-elle à Sudbury de temps en temps, mais le trajet en voiture est trop dur maintenant. «La dernière fois, elle a été malade pendant deux jours [après le voyage].» Elle a aussi songé à mettre sa mère dans un autre foyer, mais selon elle «ça pourrait être dévastateur de la déménager parce que ça serait un gros changement et elle ne reconnaîtrait personne.»
Ce que Mme Rhéault, Mme Desroches et d’autres personnes non-vaccinées voudraient, c’est qu’Au Château change sa politique afin qu’elles puissent entrer dans le foyer tout comme les personnes vaccinées. Elles sont même prêtes à faire un test de dépistage à chaque visite, disent-elle. Leur argument principal : les personnes non-vaccinées ne présentent pas plus de risque aux résidents puisque les personnes vaccinées peuvent aussi attraper et transmettre le virus.
L’administration dit qu’il priorise la sécurité des résidents, tout en accommodant les non-vaccinés
Jacques Dupuis, directeur général d’Au Château, dit qu’il a de l’empathie pour les familles touchées par les restrictions et il serait ravi de pouvoir les lever et revenir «à la normale,» mais selon lui, «nous ne sommes pas encore rendus là.»
Il explique que le conseil d’administration d’Au Château revoit ses protocoles de gestion de la pandémie au début de chaque saison, puis fonde ses décisions sur les données du moment. La dernière revue a été faite au mois d’octobre, au moment même où une nouvelle vague de COVID-19 ainsi que d’influenza et de streptocoque présentait une triple menace. Le conseil a donc décidé de maintenir les restrictions afin de protéger les résidents pendant cette période, de dire M. Dupuis.
«Après l’hiver, nous allons réévaluer la politique, mais ce n’est pas le moment maintenant,» estime le directeur. «La politique est raisonnable dans les circonstances actuelles. (…) Beaucoup de personnes sont malades et les hôpitaux ne fournissent pas. Oui, les choses évoluent, mais nous ne sommes pas encore arrivés à bout de cette affaire.»
M. Dupuis dit qu’il comprend la frustration et la «fatigue COVID», et il assure que les mesures ne sont aucunement conçues pour «punir» les personnes non-vaccinées. Bien au contraire, il dit que le foyer a pris des moyens exceptionnels pour les accommoder, comme la création du Coin des amis. «Je respecte leur choix, je n’ai rien contre ces personnes,» dit-il. «J’ai de l’empathie pour ce qu’ils vivent, c’est pour ça que le foyer a trouvé un moyen de faciliter leurs visites.»
Cependant, même si le foyer a fait des accommodements pour les personnes non-vaccinées, M. Dupuis dit que ses politiques et mesures sanitaires globales ne peuvent pas être fixées en fonction des désirs de ce groupe. «Tout organisme, public ou privé, adopte des politiques pour le bien-être de la population générale, pour la communauté dans son ensemble, et non pas pour un groupe minoritaire,» explique-t-il. Il ajoute que «la priorité absolue d’Au Château, c’est de protéger ses résidents.» Enfin, M. Dupuis souligne que le foyer compte 160 résidents, et seulement 4 ou 5 sont touchés par ces difficultés, selon lui.
En effet, le directeur croit que la majorité des familles sont en faveur des mesures actuelles et il dit que très peu de foyers en province ont allégé les restrictions pour le moment. Il ajoute que le ministère de la Santé a revu la politique d’Au Château et «si elle n’était pas raisonnable, le ministère nous ordonnerait de la changer.»
M. Dupuis dit qu’il ne faut pas oublier l’obligation de protéger les employés. Chaque fois qu’un employé contracte la COVID, il doit s’absenter un minimum de dix jours, laissant le foyer à court de main-d’œuvre. «Nous n’avons pas les ressources pour remplacer plus de personnes malades,» d’avertir M. Dupuis.
Le directeur tient surtout à démentir la notion qu’Au Château prive les résidents de leur famille. «Ils peuvent venir au Coin des amis tous les jours s’ils le veulent [sauf en période d’éclosion],» assure-t-il. «Ils peuvent aussi venir chercher leur être cher pour la fin de semaine.»
Quant aux situations de fin de vie, M. Dupuis dit que les mesures de soins palliatifs prennent alors le dessus sur tout le reste, afin que personne ne soit privé de sa famille pendant ses derniers moments. «Tous nos protocoles sont alors mis de côté, la seule exception c’est que les gens doivent porter une blouse d’hôpital et un masque. Jamais nous n’empêcherions qui que ce soit de voir son être cher dans ce cas,» affirme le directeur.
Une éclosion de COVID-19 alourdit encore les restrictions
Juste au moment où la frustration monte devant les mesures sanitaires, Au Château a dû suspendre ses accommodements et fermer le foyer entier à tous les visiteurs en raison d’une éclosion de COVID-19 survenue le 22 décembre. Ce jour-là, quatre résidents et trois employés ont testé positifs, obligeant le foyer à faire subir des tests à tous les autres. M. Dupuis s’attendait au pire, puisque 20 employés étaient absents en raison de maladie. «Je m’attends à ce que les choses empirent après Noël,» avait-il prédit.
Malheureusement, il avait raison. Le mardi 3 janvier, le foyer était en proie à «une éclosion double» de COVID-19 et de coronavirus-HKU1, une autre infection respiratoire, avec 19 résidents et plus de 30 employés infectés. Parmi les résidents, douze étaient atteints de COVID-19 et neuf, de HKU1, avec deux infectés par les deux virus à la fois.
Évidemment, cela laissait le foyer en sous effectifs sévère, et M. Dupuis dit que les employés qui restent font des quarts de travail doubles et travaillent sept jours sur sept au lieu de cinq jours. «Ça met énormément de pression sur notre personnel,» reconnaît le directeur.
Or, il y a une lueur d’espoir, car les choses s’améliorent de jour en jour. «Personne n’est malade au point où c’est vraiment inquiétant. Les gens se portent assez bien,» dit M. Dupuis. Il ajoute que la propagation a ralenti et les premières personnes infectées commencent à sortir de la période d’isolement, ce qui est bon signe. «C’est sous contrôle maintenant. C’est l’objectif de notre plan de gestion d’éclosion; il faut isoler les cas, contenir le virus et minimiser la durée. Ça va dans le bon sens,» assure le directeur.
Il ne sait pas, cependant, quand le foyer pourra rouvrir ses portes aux visiteurs vaccinés et offrir à nouveau le Coin des amis aux non-vaccinés. Tout dépendra de la durée de l’éclosion. Seul le Bureau de santé de North Bay Parry Sound et district pourra déclarer la fin de l’éclosion lorsque les cas seront résolus, puis Au Château ne pourra lever ses mesures d’éclosion qu’après cette déclaration.
Pour ce qui est des mesures régulières, en particulier l’exclusion des personnes non-vaccinées à l’intérieur du foyer, le directeur dit que cela dépendra du conseil d’administration, mais la décision du mois d’octobre devait couvrir les mois d’hiver avec une réévaluation prévue au printemps. Cela pourrait changer puisque le conseil compte plusieurs nouveaux membres qui se réuniront pour la première fois le 18 janvier, mais M. Dupuis voit l’éclosion actuelle comme un signe que la prudence s’impose, du moins jusqu’à la fin de la vague d’hiver. «Ça m’étonnerait que le conseil décide de prendre ce risque à ce moment-ci,» dit-il.