François «Frank» Savage, ancien agent du Service policier de Nipissing Ouest, travaille maintenant dans la communauté la plus au nord des provinces canadiennes (excluant les Territoires). Il fait partie de la force policière Nunavik dans la communauté inuite d’Ivujivik. «Le passage du Nord-Ouest est dans ma cour!» dit-il, tout comme les ours polaires.
M. Savage était bien connu comme agent du Service policier municipal, mais il n’a pas été retenu lorsque la Police provinciale a pris la relève. Pendant un peu plus d’un an, il a servi comme agent municipal pour la mise en application des arrêtés. Puis, «j’ai essayé la retraite pendant un mois-et-demi, à l’âge de 50 ans, mais même après 32 ans en uniforme, c’était trop tôt,» dit-il. Quelque chose lui manquait. «Je me sentais encore assez jeune pour contribuer alors j’examinais différentes options.»
Pendant qu’il construisait sa maison en vue d’une retraite tranquille à Temagami, il a décidé de postuler au service policier de Bear Island. Parmi 50 postulants, il faisait partie des deux finalistes. «Mon instinct me disait qu’ils cherchaient un candidat plus jeune… Je leur ai dit que s’ils cherchaient un agent chevronné pour former la relève, j’étais leur homme, mais je leur ai dit aussi que l’autre candidat était plus jeune et convenait mieux à leurs besoins et qu’à leur place, c’est lui que j’embaucherais. Il a eu le poste, mais ils ont apprécié ma franchise.»
En effet, ils ont tellement apprécié qu’ils ont ajouté son nom à une base de données de candidats idéaux pour servir des communautés autochtones. En décembre 2020, il a donc reçu l’appel d’un recruteur qui cherchait justement un agent chargé de la formation de nouvelles recrues. Surpris de cette invitation non-sollicitée, il n’y croyait pas au début; il leur a dit de rappeler le lundi et il a raccroché. «Le lundi matin, le chef-adjoint m’a appelé… Il était impressionné de mon c.v. et il m’a offert un poste. Il vantait le service et l’un des éléments clés, c’était «une bonne place pour pêcher et chasser.» Il n’en fallait pas plus pour me convaincre! Je rêvais depuis longtemps d’aller dans le Grand Nord.»
Le territoire desservi par le service policier Nunavik compte 14 communautés accessibles par avion seulement, autour de la Baie d’Hudson sur la péninsule d’Ungava. Ivujivik est la plus au nord, avec une population d’environ 450 personnes. Elle fait officiellement partie de la province de Québec, mais l’on y parle principalement l’inuktikut et l’anglais.
«J’en ai parlé avec ma famille et mes amis et ils m’ont encouragé. Ils m’ont dit «t’es trop jeune pour rester assis sur le fauteuil à ne rien faire.» (…) L’idée d’aller dans le Nord, c’était motivant et c’était comme un rêve qui se réalisait. J’ai sauté sur l’occasion. J’ai passé du temps en formation pour faciliter la transition… pour me familiariser avec la culture. Parce que j’ai des racines métisses, et j’ai vécu dans une communauté à proximité des premières nations… c’était assez naturel pour moi.» Cependant, il reconnaît que «c’était tout de même un choc culturel parce que la culture inuite est très distincte. On ne peut pas comparer un Inuit à un Algonquin ou un Ojibwé ou un Cri… ils sont distincts.»
Puis le passage du Nord-Ouest est réellement dans sa cour; il est à l’endroit même où les premiers Européens arrivés à la Baie d’Hudson ont rencontré les Inuits. «Je suis peut-être fou, mais quand ils m’ont demandé où je voulais aller, j’ai demandé quelle place était la plus au nord et on m’a dit Ivujivik.» Il y est donc depuis le 28 mars 2021.
Dès son arrivée, il a été plongé dans le cœur de l’action. «J’avais toujours voulu voir un ours polaire dans son habitat naturel.» Sa première semaine, son vœu a été exaucé. Un ours polaire était sur la berge en train de manger un phoque, trop près du village où les gens commençaient à se rassembler. «Je n’avais pas encore reçu mon fusil de chasse. Comparer un ours polaire à un ours noir du nord de l’Ontario, c’est comme comparer un chien à un petit cheval. Ils sont très gros!»
Armé seulement d’un pistolet de 9 mm, il s’inquiétait de la petite foule de curieux qui commençait à se former autour de l’animal. «À ce moment-là, l’ours devenait de plus en plus intéressé au buffet sur la berge, si je peux m’exprimer ainsi. Il commence à s’avancer, (…) et j’essaie de faire reculer les gens.» Il devait réagir rapidement, donnant à un jeune chasseur inuit le feu vert pour tirer. La communauté s’est ensuite activée pour récupérer l’ours et tout récolter. «Aucune partie de l’animal n’a été gaspillée,» dit-il. «Pour eux, c’est naturel.»
Sa fascination pour la culture inuite l’a mené à une interaction immédiate avec les jeunes et les aînés du coin, et ces derniers se montrent aussi fascinés par ses origines franco-ontariennes. Lorsqu’ils lui demandent de décrire l’Ontario, il dit que c’est similaire à leur région mais recouvert d’arbres et atteignant des températures de 27 degrés l’été.
M. Savage a servi 12 ans dans les Forces armées canadiennes, ayant fait des missions en Afrique centrale et en Bosnie entre autres. «J’ai parcouru le monde et le Canada deux fois. Cette région ressemble à Jasper, Banff, mais sans les arbres. Puis il y a un facteur «wow» grâce à l’océan et les pics majestueux, comme les fjords de Terre-Neuve… Le panorama est à couper le souffle, et les couchées de soleil!» Pour l’instant, il ne connaît que la période de lumière constante, mais il attend de découvrir «l’autre côté de la médaille, lorsqu’il fera noir pendant six mois.» Puis il reste toujours aux aguets face aux ours polaires, «pour qu’ils ne nous prennent pas pour des phoques.»