La conseillère Anne Tessier est expulsée pour un commentaire Facebook
Suzanne Gammon
La présidence du conseil d’administration d’Au Château ressemble à un jeu de chaises musicales dernièrement, avec trois changements en trois mois et la controverse qui rejaillit sur le conseil municipal de Nipissing Ouest, dont quatre membres siègent au conseil d’Au Château.
Le 18 janvier, le tout nouveau conseil d’Au Château s’est réuni pour la première fois et Ronald Demers, nouvellement nommé par la province, a été élu président. Pendant cette première réunion, le conseil avait délibéré sur une proposition d’éliminer l’obligation vaccinale pour les visiteurs autrefois considérés «fournisseurs de soins essentiels.» Alors que tous les membres étaient d’accord qu’il fallait réévaluer cette politique, trois voulaient l’éliminer sur le champ et trois voulaient attendre les recommandations du personnel sur la façon de mettre en œuvre ce changement.
Suite à la réunion, il y a eu un barrage de critiques visant les trois qui avaient voté pour attendre, soit les représentants municipaux Kathleen Thorne Rochon et Jamie Restoule et le président Demers, dont le vote avait causé l’égalité et donc le rejet de la proposition. Ceux qui avaient voté en faveur étaient les représentants municipaux Fernand Pellerin et Anne Tessier, cette dernière ayant émis la proposition, puis la représentante provinciale Catherine Neddow. Les opposants à l’obligation vaccinale ont tout de suite réagi, affichant en ligne des vidéos et commentaires virulents, particulièrement contre Mme Thorne Rochon, M. Demers et le directeur d’Au Château, Jacques Dupuis, puis ils ont poursuivi leurs manifestations devant l’entrée du foyer.
Le conseil a convoqué une réunion extraordinaire neuf jours plus tard, le 27 janvier, votant cette fois pour éliminer l’obligation vaccinale non seulement pour les fournisseurs de soins mais pour tous les visiteurs au foyer. M. Demers a indiqué qu’il avait reçu de nombreux appels et que le conseil avait subi des pressions, mais il ne voyait pas cela comme une capitulation aux manifestants. Mme Thorne Rochon était la seule à voter contre le changement, car selon elle le conseil précipitait la décision en réaction à des pressions politiques.
La réunion portait aussi sur le départ soudain de Jacques Dupuis, qui était «en congé maladie pour une période de temps indéterminée.» La directrice des soins d’Au Château, Cindy Brouillette, a été nommée directrice par intérim. Celle-ci a émis un communiqué pour expliquer le changement de politique recommandé par l’administration en partie pour «adresser le harcèlement que les employés ont dû subir, menant à des risques pour leur sécurité.»
Cependant, suite au changement de politique, les choses ne se sont pas calmées car certains continuaient à exiger la fin du mandat vaccinal pour tous les employés du foyer aussi. M. Dupuis est revenu au travail pour y retrouver le même climat qu’avant et à la mi-mars, M. Demers a annoncé qu’il démissionnait comme président «pour des raisons personnelles.» Il reste membre du conseil d’administration représentant la province.
M. Demers n’a pas voulu expliquer davantage sa décision de renoncer à la présidence, mais il a envoyé une capture d’écran montrant un commentaire menaçant à son égard, affiché sur le réseau social Facebook. La Tribune a obtenu d’autres captures d’écran de menaces proférées par le même individu se nommant Dave Lavoie sur Facebook, indiquant qu’il songeait à aller chez Tim Hortons au moment où s’y trouve régulièrement M. Demers parce que «il y a une personne qui aurait besoin d’une bonne claque derrière la tête.» M. Demers, qui n’utilise pas les réseaux sociaux, dit que d’autres personnes l’ont mis au courant des menaces et qu’il les a signalées à la police, qui a ouvert un dossier sur l’affaire. La Police provinciale de l’Ontario n’avait pas répondu aux questions de la Tribune à ce sujet au moment où ce journal passait sous presse.
Face à la démission de M. Demers, la réunion d’Au Château du 15 mars a débuté par une nouvelle élection. Mme Neddow a proposé Anne Tessier et la candidature a été appuyée par M. Pellerin. Mme Thorne Rochon a proposé Jamie Restoule mais personne n’a appuyé cette nomination. Cela a mené à l’approbation unanime de Mme Tessier comme présidente du conseil d’Au Château.
Cependant, sa présidence aura été de très courte durée. Pendant la réunion du conseil municipal du 4 avril, Mme Thorne Rochon a exercé son autorité comme mairesse pour réattribuer ses nominations à divers comités du conseil, retirant Mme Tessier et elle-même du conseil d’Au Château et les remplaçant par les conseillers Daniel Gagné et Jérôme Courchesne. Cette décision laisse le conseil d’Au Château sans présidence encore une fois.
Le retrait de Mme Tessier suscite la controverse
Puisque l’intention de la mairesse était publique avant la réunion du 4 avril, plusieurs personnes se sont mobilisées pour dénoncer ce qu’elles considéraient un abus de pouvoir et pour soutenir Mme Tessier. Une vingtaine de personnes ont assisté à la réunion pour opposer le changement. Mme Thorne Rochon a cédé la présidence au maire-adjoint Jamie Restoule, car les délibérations portaient sur sa proposition. M. Restoule a demandé aux membres de l’auditoire de ne pas interrompre, mais il y a eu des débordements.
Mme Tessier, qui assistait à partir de chez elle via Zoom, a plaidé pour rester au conseil d’Au Château. «Je suis capable et voulante d’agir dans le meilleur intérêt d’Au Château et de ses résidents,» a-t-elle affirmé. Elle a évoqué le besoin de continuer à revendiquer pour les fournisseurs de soins et les employés qui lui avaient fait part d’«expériences négatives» quant à la qualité des soins, ajoutant que toutes leurs plaintes étaient «tombées dans l’oreille d’un sourd.» Selon elle, les témoignages relatés laisseraient croire à des contraventions à la Loi sur les soins de longue durée. «Je veux rester au conseil afin que l’on puisse travailler ensemble pour discuter de façons à résoudre cela et assurer que les soins soient conférés conformément à la Loi,» a-t-elle insisté.
Le conseiller Fernand Pellerin l’a appuyée, affirmant que «Mme Tessier fait un travail formidable… elle y consacre beaucoup d’heures et elle le fait pour les bonnes raisons.»
Mme Thorne Rochon a expliqué son raisonnement, affirmant que Mme Tessier avait mis en péril la relation de la municipalité avec l’administration d’Au Château par un commentaire qu’elle avait affiché en ligne. «J’ai recommandé que la conseillère Tessier soit retirée du conseil d’administration d’Au Château parce qu’il y a eu des soucis quant à son utilisation des réseaux sociaux et la responsabilité d’être représentante d’un organisme [la municipalité] au sein d’un conseil d’administration,» a-t-elle dit. «J’ai reçu 3 ou 4 textos avec des captures d’écran de Facebook contenant un commentaire de Mme Tessier sur une publication critiquant l’administration et la gestion de l’institution. Malheureusement, le directeur d’Au Château a aussi été mis au courant de cette publication et les attaques faites contre lui et cautionnées par Mme Tessier vont avoir un impact sur la relation que nous entretenons avec notre partenaire.»
Elle a décrit Au Château comme un atout important à la communauté, avec 100 millions de dollars en infrastructure et un budget annuel de 17 millions de dollars, dont 13 millions en salaires et avantages sociaux comme employeur principal de la région. Elle a été interrompue par des cris et une agitation audible dans la salle, avec une personne qui lui lançait «Tu n’es qu’un tyran!» La mairesse a persisté à travers le bruit, insistant que les membres du conseil ont le devoir de maintenir l’intégrité de la corporation. «C’est pour cela que j’ai recommandé que Mme Tessier siège à des conseils différents où son comportement n’aura pas d’impact sur nos relations avec nos partenaires,» de conclure Mme Thorne Rochon.
M. Restoule a rappelé aux auditeurs qu’ils étaient là comme observateurs seulement, en ajoutant que les délibérations portaient sur la composition du conseil d’administration et non sur les activités qui se passaient au foyer Au Château, celles-ci relevant du conseil de cet organisme et du ministère de la Santé et des Soins de longue durée et non du conseil municipal. Cela a fâché une personne présente, qui a demandé «alors quand allez-vous parler de ça?… C’est toujours pareil. Il n’y a pas de liberté d’expression dans le Nipissing Ouest.»
Mme Tessier a demandé que son commentaire Facebook soit lu à voix haute, ce que la mairesse a fait. «C’était partagé sur votre page Facebook de conseillère, avec de l’information sur […] la politique d’influenza. Il y a une série de commentaires injurieux envers l’administration et d’autres membres du conseil d’administration, et votre commentaire disait «oui», je présume en accord avec les commentaires précédents, et «j’aimerais avoir une baguette magique. Je vais rencontrer M. Dupuis vendredi pour discuter de mon rôle comme présidente. J’espère pouvoir lui démontrer mon pouvoir sur son poste.»»
Mme Tessier semblait regretter d’avoir affiché ce commentaire, qu’elle avait depuis retiré. «C’était mon seul commentaire. Je n’étais pas d’accord avec tout ce qui était sur ce fil de discussion et le commentaire a été effacé par la suite,» a-t-elle exprimé.
Le conseiller Kris Rivard était sensible à ses remords, mais selon lui «le commentaire était certainement nuisible à notre relation avec un partenaire communautaire aussi important,» et tous les membres du conseil «doivent suivre notre politique sur l’utilisation des réseaux sociaux afin de rester professionnels.»
Le conseiller Roch St-Louis était d’accord. «En tant que conseillers municipaux, nous ne sommes pas là pour abuser de notre pouvoir sur les autres… Nous siégeons à des comités, nous participons à ces comités, nous ne sommes pas au-dessus des autres sur ces comités,» a-t-il déclaré.
Selon M. Restoule, le dommage était fait dès le moment où le commentaire a été affiché. «Vous pouvez les effacer, mais ils sont toujours là,» a-t-il dit, ajoutant que beaucoup de personnes avaient lu ces mots «qui ne sont pas propices à une bonne relation avec l’administration d’Au Château.» Il a ajouté que cette relation avait besoin d’être réparée et que «si nous n’avons pas de confiance et un bon rapport entre le conseil et l’administration, nous n’allons pas pouvoir avancer dans le bon sens comme nous le voulons tous.»
Enfin, M. Restoule a rappelé que tous les membres du conseil avaient accepté la politique municipale quant aux réseaux sociaux. «J’ai siégé à des conseils pendant 11 ans et je n’ai jamais vu ce genre d’action avant. (…) C’était très décevant de voir ce genre de commentaire fait dans un forum public en ligne par une représentante de notre conseil à l’égard d’un de nos plus grands partenaires communautaires,» a-t-il conclu.
Cependant, M. Pellerin a défendu Mme Tessier, en disant «ce n’est pas la fin du monde. Elle a commis une erreur, nous sommes tous débutants.» Selon lui, elle faisait un bon travail comme porte-parole en apportant les soucis du public à la table. «Nous sommes là pour représenter le public (…). Au conseil d’Au Château, nous représentons les résidents d’Au Château. Je pense que c’est ce qu’elle s’acharne à faire.»
Mme Tessier a demandé un vote par appel nominal et tous sauf elle-même et M. Pellerin ont voté en faveur des changements proposés par la mairesse. Les opposants n’ont pas tait leur déception en quittant la salle bruyamment, une personne lançant «alors lorsque la mairesse va merder, nous allons la balancer sous un bus aussi?», puis rajoutant que la décision risquait de lui causer des ennuis plus tard.
Dans les jours qui ont suivi la réunion, les partisans de Mme Tessier ont lancé une pétition pour demander qu’elle soit réintégrée au conseil d’Au Château, récoltant des signatures pour présenter au conseil municipal.
Réaction du directeur d’Au Château
La prochaine réunion régulière du conseil d’Au Château est prévue le 26 avril, et le directeur Jacques Dupuis dit qu’il n’y a pas de réunion extraordinaire prévue avant cette date pour élire une nouvelle présidence. Lorsqu’on lui demande s’il risque d’y avoir une réticence à accepter ce poste dans le climat actuel, il s’est dit confiant qu’il y aura «sans doute de bons candidats prêts à prendre le rôle.»