La Cour ordonne au Canada de financer la police autochtone ; les agents de l’APS sont soulagés et pleins d’espoir

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Lorsque le Canada a été contraint de financer sans condition le service policier Anishinabek (APS) et deux autres services de police autochtones, Chantal Larocque, sergente de l’APS, a exprimé sa joie dans une nouvelle vidéo, remerciant les chefs de police autochtones unis de l’Ontario pour leur intervention réussie. Voici une capture d’écran de ce qu’elle appelle sa «vidéo de la victoire.»

Isabel Mosseler

IJL – Réseau.Presse – Tribune

La sergente Chantal Larocque, du service policier Anishinabek (APS), a repris ses fonctions et elle en est ravie. Le gouvernement du Canada a reçu l’ordre de financer trois services de police des premières nations de l’Ontario (IPCO), dont l’APS, après une demande d’injonction d’urgence. Le juge Denis Gascon s’est prononcé en faveur de l’APS, du Treaty 3 Police Service (T3PS) et de l’UCCM Service policier Anishnaabe, exigeant que leur financement soit débloqué sans aucune condition proposée par Sécurité publique Canada. Il y a deux semaines, les trois services de police avaient déclaré l’état d’urgence car ils restaient sans financement fédéral depuis le 31 mars, et le gouvernement refusait de négocier un accord convenable selon eux. La situation limitait leur capacité à servir leurs communautés, donc ils ont tiré la sonnette d’alarme et demandé l’intervention du tribunal.

La sergente Larocque, qui recrute des policiers pour l’APS, est devenue au fil du temps le visage public de la force sur les médias sociaux. Elle a donc été chargée de faire une vidéo pour annoncer l’état d’urgence, puis elle a invité la Tribune à visiter les installations inadéquates où travaillent l’APS, pour faire connaitre les conditions déplorables auxquelles les policiers autochtones doivent faire face. Apprenant que le financement fédéral est assuré sans conditions pour cette année, Mme Larocque s’est dite soulagée tout en gardant une certaine réserve. «C’est ce que nous voulions, mais il ne faut pas oublier qu’il s’agit d’une solution temporaire,» a-t-elle souligné. Temporaire ou non, il s’agit d’une décision historique qui aura un impact sur les services de police autochtones dans tout le pays, et sur les négociations pour les années à venir. 

La décision a été rendue publique le 30 juin. L’avocat Julian Falconer a fait valoir que les conditions de financement de Sécurité publique Canada imposaient des restrictions aux services policiers autochtones, notamment l’impossibilité de créer des unités spécialisées dans les crimes graves, les enquêtes sur les stupéfiants et la violence familiale. L’entente proposée par le fédéral interdisait également l’utilisation des fonds pour des conseils juridiques ou le financement d’infrastructures telles que des bâtiments. Le Canada a fait valoir que ces conditions ne pouvaient pas être modifiées et qu’elles n’étaient pas négociables. Toutefois, le ministre de la Sécurité publique, Marco Mendocino, a finalement autorisé la création d’unités spéciales.

«Je trouve que c’est un triste commentaire sur ce gouvernement, qu’il faille un juge pour lui ordonner de faire ce qu’il faut… C’est inconcevable pour moi, l’injustice dans la façon dont les services policiers autochtones sont traités, comme s’il s’agissait de citoyens de seconde classe, et vouloir faire des économies de bouts de chandelle sur les questions de sécurité pour les communautés des Premières nations,» de déclarer Maître Falconer après le jugement.

Pour la police locale, c’est une lueur d’espoir qui surgit. «Je pense que ce qu’il faut retenir, c’est que le ministre a finalement été en mesure de modifier l’une des conditions, alors que le gouvernement n’a cessé de dire «Nous ne pouvons pas, nous sommes liés par les conditions.» Leur propre ministre a été en mesure d’annuler une condition, pour accommoder les services spécialisés,» souligne Mme Larocque. «Si vous l’avez fait pour une clause, c’est que vous pouvez le faire. C’est donc un point intéressant qui sera soulevé lors des prochaines négociations.»

Les trois agences autochtones sont désormais en mesure de servir leurs 45 communautés, soit environ 30 000 personnes, sans condition pour cette année. Ils ne pourront pas pour autant investir en infrastructure, selon la sergente Larocque, car le financement leur permet juste de rester à flot. «Il s’agit d’une solution à court terme. Je ne pense pas que de grandes décisions seront prises en termes d’infrastructure [cette année]. (…) Au moins, ils nous permettent de rester à flot pour que toutes les parties puissent se réunir à nouveau autour d’une table et négocier correctement.»

Le sous-financement chronique et les contraintes seront abordés. «On peut se demander pourquoi cela se produit seulement que dans les services de police autochtones. Pourquoi les communautés autochtones sont-elles les seules à être potentiellement privées de services de police? …On ne voit ça pas dans les services de police municipaux, on ne le voit pas au niveau provincial ou fédéral,» déplore Mme Larcoque.

La décision du juge Gascon est révolutionnaire et pourrait avoir des répercussions sur les services policiers autochtones de tout le pays. Mme Larocque déclare : «Je suis convaincue que d’autres services vont utiliser cette décision pour avancer leurs positions en négociant ces accords tripartites avec le provincial et le fédéral, et revendiquer la fin des restrictions et conditions imposées. On pourrait assister à une meilleure représentation et à une lutte pour l’égalité. Néanmoins, c’était un grand risque à prendre pour nous, parce qu’il y avait le danger de laisser nos communautés sans service de police et de faire perdre leur emploi à beaucoup de personnes. Mais c’est un risque que [les trois services de police] ont jugé utile de prendre pour que nous puissions bénéficier d’un traitement égal.»

Le juge Gascon a même déclaré que le financement inadéquat des trois agences pouvait avoir des conséquences néfastes à long terme. Ces accords ne sont en vigueur que depuis 1996, à peine 30 ans, mais au cours de cette période la police autochtone a fait d’énormes progrès dans ses communautés, malgré les contraintes. «Si vous regardez les autres services de police, ils ont plus de 100 ans. Il faut nous laisser le temps de nous développer. Nous avons à peine 30 ans ! Il y a certaines choses que nous devons apprendre… et adapter aux besoins de nos communautés, et elles sont certainement différentes,» soutient la sergente Larocque.

Quant à ses sentiments personnels, «même si nos chefs étaient très confiants, je pense que, compte tenu de ce que l’histoire nous a appris sur les relations entre le gouvernement et les peuples autochtones, il y avait toujours un risque de perdre cet accord et de laisser nos communautés sans police et de perdre nos emplois. C’était une idée effrayante pour beaucoup de gens, et c’est donc un énorme soulagement, une grande victoire, oui. Même si nous savons que c’est temporaire, c’est quand même un grand moment historique. Et nous espérons que cela apportera des changements non seulement pour les trois services concernés, mais aussi pour tous les services de police autochtones.»

Le juge Gascon a également reproché au fédéral d’être sourd à la volonté de son peuple, soulignant que la réconciliation et le respect des droits et de la culture des premières nations sont «d’une importance fondamentale pour tous les Canadiens.» Les vidéos de Chantal Larocque ont bien démontré ce soutien du grand public. «Les communications dans les médias sociaux, la vidéo de la victoire et la vidéo qui l’a précédée [sur l’état d’urgence] ont été visionnées par des milliers de personnes… De nombreux non-autochtones nous ont suivis et soutenus, et dans tout cela, il y a eu deux commentaires négatifs… Cela a montré le soutien du public… Cela a touché une corde sensible,» dit-elle.

Les services policiers autochtones n’ont pas seulement gagné la bataille judiciaire ou médiatique, ils ont aussi le soutien de leur population, ce qui constitue un changement considérable pour une communauté qui se méfie de la police historiquement. «Les gens d’ici ont clairement exprimé leur soutien à notre existence. C’est rassurant. Je ne sais pas si nous aurions connu cela il y a 15 ans», souligne Mme Larocque. « Avec le soutien du public, nous pouvons faire avancer notre programme, en protégeant nos communautés et en augmentant nos effectifs pour assurer correctement le maintien de l’ordre en 2023.»

C’est d’autant plus important qu’il y a 100 ans, plusieurs collectivités autochtones connaissaient la police comme des ravisseurs d’enfants, alors qu’aujourd’hui, les enfants de ces mêmes communautés aiment leurs policiers. «Les choses ont radicalement changé, non seulement grâce à la formation culturelle, mais aussi lorsque des personnes issues de la communauté assurent le maintien de l’ordre; nous avons pu rétablir le respect. Ce qui est intéressant quand on regarde les services municipaux, provinciaux ou fédéraux, c’est que bien que nous ayons été sous-financés pour échouer… nous faisons quelque chose de bien mieux que tous ces autres services, et c’est la police de proximité… Les gens sont tellement habitués à nous voir en uniforme dans les rassemblements communautaires que, même les enfants, pour eux, c’est tout à fait normal.»

Elle illustre par un exemple percutant. «L’un de mes exemples préférés est celui de la vidéo «Chaque enfant compte», dans laquelle les enfants lèvent une pancarte disant «Je suis intelligente et belle, j’aime ma tresse, etc.» J’ai demandé aux gens si je pouvais partir avec leurs enfants pour faire une vidéo et ils ont répondu : «Chantal est là. Va avec elle. Elle fait une vidéo.» Aucune question. …C’est tellement bien que les gens vous fassent confiance en vous confiant leurs enfants, alors que vous êtes en uniforme, sans même se poser de questions. Cela a validé ce que nous faisons et comment nous le faisons mieux que d’autres services. …Nous sommes passés d’une époque où la police enlevait des enfants à aujourd’hui, où je peux partir avec des enfants sans que ça ne provoque d’inquiétude. Pas de stress. C’est cela la police de proximité. Et c’est la raison pour laquelle nous devons exister… Nous avons réussi quelque chose de formidable, en dépit d’un financement inadéquat. Personne ne peut nier qu’il serait très, très difficile pour un autre service de venir nous remplacer.»

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