Un taux d’épuisement sans précédent chez les professionnels en santé

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Julie Bertram

Tribune

Le système de santé est en crise et peine à rebondir des conséquences lourdes de la Covid-19, cette dernière ayant mis en lumière des problèmes qui bouillonnaient déjà sous la surface avant la pandémie. Un récent sondage Nanos a révélé que 62% des infirmières auxiliaires envisagent de quitter la profession. L’Association médicale de l’Ontario (AMO) a tenu une conférence de presse le 19 avril pour alerter le public quant à l’épuisement professionnel des médecins en province. Si la pandémie a fait des ravages dans toutes les sphères de la société, les professionnels en soins de santé en ont fait les frais, et ceux de Nipissing Ouest ne font pas exception à la règle.

La Dre Rose Zacharias a ouvert la séance d’information de l’AMO. «La consommation de substances psychoactives a augmenté pendant la pandémie et continue d’augmenter. Les temps d’attente pour les services communautaires en santé mentale ont triplé. Les patients sont de plus en plus stressés par des problèmes d’accessibilité financière, notamment le prix des denrées alimentaires. Les médecins s’efforcent de répondre à cette demande accrue tout en faisant face à des niveaux records d’épuisement professionnel. Le principal facteur d’épuisement professionnel est le manque de ressources du système de santé pour fournir des soins en temps voulu, ainsi que la complexité croissante des besoins des patients,» a-t-elle déclaré.

Sue Lebeau, directrice de l’Hôpital général de Nipissing Ouest, constate cet épuisement professionnel grandissant ici-même. «En tant qu’infirmière moi-même, je trouve les chiffres consternants. Au cours de la dernière année, des infirmières ont quitté l’hôpital et notre main-d’œuvre vieillit. Certaines personnes qui auraient pu rester plus longtemps ont choisi de prendre leur retraite. Nous constatons cet épuisement au niveau local et dans toute la province.» Pour les médecins, une charge plus lourde de tâches administratives, exacerbée pendant la pandémie, contribue à l’épuisement professionnel, selon Mme Lebeau. «C’est un phénomène généralisé dans tout le Nord, voire au-delà. De nombreuses tâches administratives se sont ajoutées au fil des ans, en raison de la nécessité de documenter davantage, du fait que les patients sont de plus en plus malades et qu’ils vivent plus longtemps avec des maladies chroniques et des maladies multiples. Il s’agit d’une accumulation de facteurs qui ont rendu la situation plus difficile pour les médecins.»

Au Centre de santé communautaire de Nipissing Ouest, la Dre Julie Breton-Fortin se dit chanceuse de travailler dans un modèle qui lui épargne les tâches administratives. «Ma situation n’est pas représentative de celle de mes collègues qui travaillent dans d’autres modèles de soins de santé. Je travaille dans un centre de santé communautaire où un personnel dévoué s’occupe des tâches administratives. Je leur suis reconnaissante au quotidien et je peux me concentrer sur les soins aux patients. Chaque modèle est différent. Je pense que le financement du personnel administratif dans tous les cabinets médicaux pourrait être utile pour alléger ce fardeau et, espérons-le, réduire l’épuisement professionnel des médecins. À l’heure actuelle, dans notre clinique, les prochains rendez-vous disponibles sont pris dans un délai de quatre à huit semaines pour les questions non urgentes, alors qu’avant l’arrivée de Covid, le délai était plutôt d’une à deux semaines. Après Covid, notre charge de travail a tellement augmenté que nous n’avons pas été en mesure de prendre plus de patients comme nous le faisons habituellement, mais nous en accueillons maintenant de nouveaux au compte-gouttes.»

Le Dr André Behamdouni, médecin à l’Hôpital général de Nipissing Ouest, explique que les différents modèles de rémunération dans la province peuvent inciter les médecins à opter pour certains types de pratiques, dont les petites zones rurales sont peu pourvues. Dans le modèle du centre de santé communautaire, les médecins reçoivent un salaire fixe. Dans les modèles basés sur la capitation, les médecins sont rémunérés principalement par un montant fixe par patient, mais sont aussi payés pour les services fournis. Or, «il faut au moins six médecins pour ouvrir un organisme de santé familiale dans une zone rurale,» souligne le Dr Behamdouni. «L’organisme de santé familiale (…) reçoit une certaine somme d’argent en fonction du nombre de patients inscrits et du nombre de patients pris en charge. Vous êtes donc payé, que vous travailliez beaucoup ou peu. En général, un cabinet médical compte 800, 1200, 1500 ou 2000 patients, et le gouvernement leur verse une certaine somme d’argent. La question est donc de savoir comment ces organismes de santé familiale gèrent leur charge de travail.»

Le Dr Behamdouni pense que la région doit recruter davantage de médecins, un effort qui est en cours depuis des années mais qui, selon lui, traine un peu la patte. «Vous pouvez faire d’un endroit comme Sturgeon Falls un joyau, mais que faites-vous pour attirer les gens, les touristes et les médecins? Il faut offrir des incitatifs, et ce n’est pas nécessairement de l’argent, vous pourriez leur dire «nous n’allons pas vous faire payer les taxes municipales pendant deux ans» [par exemple…] Le potentiel est énorme. Aménager des sentiers, encourager les entreprises et les pourvoyeurs à contribuer, faire de la publicité, des choses comme ça,» suggère le médecin. Sinon, le petit contingent de médecins locaux continuera d’être surchargé de travail, avertit-il.

Le harcèlement sur le lieu de travail s’est également intensifié, avec des patients agressifs qui sont mécontents du système et des longs délais d’attente pour les soins primaires. De nombreux patients sont aux prises avec des problèmes de santé mentale et de toxicomanie, dont le nombre a également augmenté pendant et depuis la pandémie. Sue Lebeau dit avoir constaté une augmentation du harcèlement sur le lieu de travail. «Il y a certainement moins de patience et de tolérance de nos jours, c’est quelque chose que nous voyons. En ce qui concerne le nombre d’incidents violents dans notre hôpital, je ne dirais pas qu’il a augmenté. Nous nous sommes efforcés d’atténuer ces incidents, en proposant une formation et un soutien au personnel, en veillant à ce qu’il soit capable de désamorcer et de reconnaître les situations avant qu’elles ne dégénèrent en violence. Nous travaillons aussi avec la police locale pour faire face aux situations si nécessaire,» dit la directrice.

La Dre Breton-Fortin a également remarqué cette tendance; des patients contrariés deviennent parfois injurieux à l’égard du personnel. «C’est devenu un tel problème que nous avons adopté une politique de tolérance zéro pour les comportements agressifs, car cela augmentait le taux d’épuisement de notre personnel. Dernièrement, les pressions exercées par Covid ont rendu la situation encore plus difficile, ce qui a entraîné une augmentation de la détresse morale et des blessures chez nos professionnels de la santé. Nous sommes souvent confrontés à des situations où nous sommes incapables de fournir les soins que nous voulons vraiment apporter à nos patients (…). Cela peut être extrêmement démoralisant, et ce genre de situation est ce qui augmente vraiment le taux d’épuisement professionnel. En fin de compte, la santé mentale en prend un coup. Le fait de ne pas pouvoir fournir un accès rapide à des soins de qualité en raison d’une charge de travail croissante, et devoir envoyer les patients se faire soigner ailleurs, cela mine notre capacité de résilience.» 

Le sous-emploi et la pauvreté contribuent à l’anxiété et au stress des patients, ce qui augmente le risque de maladie mentale et accroît la pression sur un système qui manquait déjà de ressources. La Dre Lisa Lefebvre, directrice du programme de santé des médecins de l’AMO et médecin en toxicomanie communautaire à Toronto, voit de nombreux patients ayant des problèmes de santé mentale et de toxicomanie. «Nous avons constaté une forte augmentation de la consommation de substances, en particulier d’alcool, et une augmentation continue de la consommation d’opioïdes qui était déjà en croissance fulgurante avant la pandémie. Avec l’accumulation de retards dans les soins, ainsi que les nouveaux facteurs de stress liés à l’insécurité alimentaire et à l’augmentation du coût du logement, j’ai remarqué une pression sur mes patients qui luttent juste pour avoir accès aux nécessités de la vie. Lorsqu’ils tentent d’accéder à des services dans la communauté, les temps d’attente ont triplé ou quadruplé. Souvent, le seul endroit où ils peuvent accéder à des soins de crise, c’est au service des urgences, et nous savons à quel point les urgences sont déjà débordées avec toutes sortes de problèmes de santé et éprouvées par l’épuisement du personnel.»

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