Chantal Larocque chante l’hymne national en trois langues au match des Blue Jays
Christian Gammon-Roy
IJL – Réseau.Presse
Tribune
Chantal Larocque a chanté l’hymne national à l’ouverture du match de baseball des Blue Jays à Toronto le 30 septembre, un moment inoubliable pour de nombreuses personnes, y compris l’invitée d’honneur elle-même. À l’occasion de la Journée nationale de la vérité et de la réconciliation, Mme Larocque a été invitée à chanter le Ô Canada en français, en anglais et en algonquin au stade des Blue Jays, le Centre Rogers. La sergente du Service policier Anishinabek a chanté devant un stade plein à craquer, y compris environ 200 personnes venues juste pour la soutenir: parents, amis, collègues du service policier et membres des communautés qu’elle dessert. À sa grande surprise, sa prestation a été diffusée en direct, de sorte que les gens d’un bout à l’autre du pays ont pu la voir aussi.
Cette aventure incroyable a commencé par la création d’une version trilingue de l’hymne national. «Ce qui s’est passé, c’est que […] lorsque les 215 premiers enfants ont été retrouvés à Kamloops sur le terrain du pensionnat, il y a eu un sentiment très hostile envers la fête du Canada,» raconte la sergente Larocque. C’est ce qui l’a motivée à créer une version de l’hymne national en plusieurs langues, puis à l’enregistrer et à produire une vidéo d’elle-même en train de le chanter, afin de diffuser cela sur le site du service policier à l’occasion de la fête du Canada.
Une fois en ligne, la vidéo a fait fureur. «La vidéo est diffusée sur les réseaux sociaux et, pour être honnête, nous ne pensions pas que beaucoup de gens la verraient, mais elle a commencé à devenir un peu virale. Les écoles ont commencé à l’utiliser le matin pour l’hymne. Les équipes sportives l’utilisaient également. On nous demandait de l’utiliser, et oui, nous voulions absolument que ce soit partagé. Cela a pris de l’ampleur et ce qui s’est passé, c’est que quelqu’un des Blue Jays est tombé dessus sur les réseaux sociaux et l’a envoyé à son responsable des loisirs en lui disant: «Trouvez cette agente pour voir si elle pourrait faire l’hymne du match des Jays le 30 septembre»,» décrit Mme Larocque.
Au début, elle n’y croyait pas vraiment. La responsable des Blue Jays avait laissé un message sur le répondeur du service policier, et Mme Larocque soupçonnait une blague, jusqu’à ce qu’elle voie le numéro de téléphone de la région de Toronto. Elle a rapidement rappelé. «Lorsque j’ai parlé à la dame, elle m’a dit «Oh mon Dieu, je n’arrive pas à croire que vous m’appelez,» et je lui ai répondu «c’est moi qui n’arrive pas à croire que vous m’appelez»,» dit-elle en riant.
Dans les moments qui ont précédé sa prestation devant des milliers de spectateurs, Mme Larocque admet qu’elle a eu le trac. «J’étais assez nerveuse, mais lorsque je me suis avancée pour chanter l’hymne, je me suis dit : «C’est un grand moment, et il ne s’agit pas de toi. Il s’agit de tous ceux qui ne sont pas ici, de tous les enfants, et c’est pour ceux qui sont ici pour te soutenir et les autochtones à travers le Canada qui peuvent enfin se faire entendre, alors vas-y et fais-le pour eux»,» se souvient-elle. Le Ô Canada a commencé en français, s’est poursuivi en anglais, mais lorsqu’elle a commencé à chanter en algonquin, une acclamation a éclaté dans le stade. «Je pouvais les entendre, (…) de là où j’étais. C’était incroyable,» dit-elle, ajoutant que le personnel du stade a même été étonné par cette réaction. «C’était intéressant, parce que le personnel des Jays a dit «Nous n’avons jamais entendu une foule aussi bruyante et fière pour acclamer un chanteur de l’hymne national.»»
Pendant sa prestation, la sergente Larocque a soulevé une plume d’aigle. «Pour moi, la plume d’aigle est tout simplement apaisante (…) C’était la plume d’aigle de notre poste de police au Nipissing, mais c’est une référence culturelle pour les gens, un message visuel pour dire «ok, je suis honoré en ce moment, notre peuple est honoré». C’est quelque chose de symbolique, de l’est à l’ouest du pays. […] Soulever cette plume, c’était comme soulever les peuples autochtones pour qu’ils soient reconnus, vus et appréciés,» explique-t-elle.
Le fait que sa prestation ait été diffusée à l’échelle du pays a rendu ce geste encore plus significatif. «Nous ne savions pas si elle serait diffusée dans son intégralité, mais elle l’a été. Combien de millions de personnes l’ont vu, combien de millions regardent le match des Jays, je ne connais pas ces statistiques, mais c’est une chance inouïe pour nous de faire entendre cette voix,» d’exprimer l’agente.
Le match des Blue Jays a donc fourni une belle occasion de promouvoir la réconciliation, mais ce n’est qu’un pas dans un long périple. «C’est un petit pas. Nous avons parcouru un long chemin, mais cela prend beaucoup de temps (…) Ce que j’aime dire aux gens, c’est que le 30 septembre, c’est bien, mais c’est ce que vous faites les 364 autres jours de l’année qui compte. Il ne s’agit pas seulement de porter un t-shirt orange un jour et de passer à autre chose. Il s’agit de corriger les stéréotypes et les informations erronées, de partager et de s’ouvrir à l’histoire réelle des peuples autochtones au Canada. Le match des Jays n’était qu’une occasion de montrer comment la réconciliation peut se présenter,» explique Mme Larocque. Elle aimerait que le Ô Canada en trois langues soit chanté tout au long de l’année et à l’occasion de nombreux événements sportifs, et qu’il ne soit pas réservé à une seule journée.
M. Larocque travaille elle-même chaque jour à la réconciliation et affirme que tout le monde peut y parvenir s’il s’y prend avec amour, respect et bienveillance, ce qui fait partie des enseignements des sept grands-pères. «Lorsque je fais des présentations, je dis aux gens qu’aucun d’entre nous aujourd’hui n’est personnellement responsable des atrocités commises contre les peuples autochtones, mais que nous sommes tous responsables du processus de guérison maintenant. C’est ça la réconciliation. Il s’agit simplement d’être ouvert à la vérité, à l’histoire, aux réalités, aux traumatismes intergénérationnels et à tout ce qui découle de ce qui s’est passé. Nous avons tous quelque chose à contribuer envers la réconciliation.»
Mme Larocque ajoute que sa prestation a servi aussi à mettre en lumière les services de police autochtones à l’échelle du pays. «Même si nous [Service policier Anishinabek] sommes présents dans toute la province, les gens ne se rendent pas compte que nous allons de Sarnia à Thunder Bay, que nous sommes relativement petits. Avoir cette scène et cette opportunité est énorme pour nous parce que cela ouvre l’esprit des gens au fait que la police autochtone existe, que la vie des peuples autochtones est importante, et que ‘chaque enfant compte’, mais cela ne fait qu’entamer une conversation, pour la plupart positive, en voulant que vous soyez conscients de l’histoire, de notre existence, et de la raison pour laquelle cette journée a lieu,» dit-elle.
Depuis son retour au Nipissing Ouest, Mme Larocque reçoit des éloges et des félicitations de tous bords. «C’est un peu gênant. Partout où je vais, quelqu’un me dit : «Je t’ai vue à la télévision, beau travail, bonne représentation! La plupart des gens l’ont vu; (…) sur Twitter, [le clip] a rapidement atteint des centaines de milliers de vues. Les gens qui étaient présents au match ont également posté des messages. (…) Tout a été très positif, c’est une expérience formidable de voir à quel point les gens étaient enthousiastes à l’idée que je puisse avoir cette opportunité,» dit-elle.
Les réactions sont aussi marquantes que l’expérience même de chanter, dit-elle. «L’une des réactions les plus touchantes a probablement été celle d’une femme – je ne sais pas qui elle est, mais elle était dans la foule ce jour-là au stade – une femme autochtone qui m’a plus ou moins dit qu’elle n’avait jamais été fan de l’hymne national pour ses propres raisons, (…) mais que là elle se sentais très fière et que j’avais peut-être réussi à la convaincre d’aimer à nouveau l’hymne. Elle voulait me féliciter pour ce que ça représentait de l’avoir fait de cette façon.»
Chantal Larocque a toujours été généreuse de son temps et de son engagement envers sa communauté. Sa récente prestation au match des Blue Jays pourrait bien être la plus ambitieuse de ses initiatives. Elle précise qu’il ne s’agissait pas d’un moment de gloire pour elle, mais plutôt pour tous les peuples autochtones du Canada, et elle espère qu’il servira de catalyseur à une conversation continue. Lorsqu’on lui demande si cela pourrait l’amener à chanter davantage devant de grandes foules, par exemple lors d’un match des Maple Leafs de Toronto, elle répond qu’elle a besoin de temps pour reprendre son souffle après cette expérience. «C’était déjà assez stressant, laissez-moi un peu de répit!», dit-elle en riant. Ce n’était pas un «non» catégorique…