Des personnes âgées craignent de perdre leur logement

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Les résidentes et résidents de ces duplex conçus pour des locataires âgés, aux rues Second, Third et Nipissing à Sturgeon Falls, craignent de perdre leur logement suite à des conflits avec les propriétaires et la récente mise en vente d’unités dont les habitants refusent de payer une augmentation de loyer qu’ils jugent abusive.

Les locataires se plaignent de hausses de loyer abusives et de tentatives d’expulsion; les propriétaires, de perte d’argent

Christian Gammon-Roy

IJL – Tribune

Plusieurs personnes âgées de Sturgeon Falls sont confrontées à l’incertitude quant à leur logement locatif dans un développement résidentiel le long des rues Third, Second et Nipissing, près de l’ancienne église La Résurrection. Au total, 16 logements, composés de 8 duplex de plain-pied, ont été construits à cet endroit par S & A Gauvreau Properties Inc. en 2016, mais ont depuis été vendus à de nouveaux propriétaires, Farley Rentals Inc. de Puslinch, Ontario. Au début, tout s’est déroulé normalement, avec des augmentations de loyer annuelles standard. Cependant, cette année, les propriétaires ont voulu imposer une hausse 200$ supplémentaires par mois, en plus de l’augmentation standard de 2,5 % autorisée pour 2025. S’ensuivit une série de mesures que certains locataires qualifient d’intimidantes. La plupart d’entre eux ont accepté de payer les frais supplémentaires par crainte de perdre leur logement, mais trois ont refusé, ce qui a conduit à des tentatives d’expulsion et, finalement, à la menace de vendre les logements et de les laisser tous chercher un autre endroit où vivre dans un marché difficile.

Alors que les locataires de 13 logements ont accepté de payer les 200$ supplémentaires, ceux qui ont refusé ont reçu des avis N12 les informant de la fin de leur bail, le propriétaire souhaitant emménager. Un résident, Guy DeCaen, a reçu trois avis distincts en 2024 et 2025. Plus récemment, les logements ont été mis en vente à l’unité, à commencer par les deux qui avaient refusé de payer les frais supplémentaires. Affichée le 12 novembre, l’annonce a été retirée seulement 24 heures plus tard, après que l’agente immobilière engagée par le propriétaire se soit retirée de l’affaire.

Anne Marcoux, dont la belle-mère est l’une des résidentes, s’interroge sur la légalité de la demande de 200$ et sur les raisons pour lesquelles ceux qui ont refusé de payer ont reçu des avis N12 et ont ensuite été les premiers à voir leur logement mis en vente – étrange coïncidence selon elle. Elle explique que les locataires ont d’abord été informés verbalement de l’augmentation de 200$, sous le prétexte que les frais de déneigement et d’entretien du terrain avaient augmenté. Cependant, les résidents ont fait remarquer que ces frais étaient inclus dans leur loyer, conformément à leur bail. Elle ajoute que sa belle-mère, une veuve âgée qui a récemment subi une opération de la hanche, a accepté de payer par crainte de perdre son logement – crainte qui continue aujourd’hui de la hanter.

Guy DeCaen et sa fille Elizabeth partagent les mêmes préoccupations. Comme le mentionne M. DeCaen, il a été l’un des premiers locataires à emménager dans ce nouveau développement suite à sa construction en 2016, choisissant de vendre sa maison et s’installer dans un logement plus petit et facile d’entretien pour y passer sa retraite. Elizabeth souligne que son ancienne maison comptait de nombreux escaliers et un terrain d’un acre. C’est un thème récurrent pour la plupart des résidents de ces logements : déménager dans un endroit plus facile à gérer et payer un loyer tout compris afin de ne pas avoir à se soucier des réparations, de l’entretien et d’autres imprévus. Les logements ont également été construits en pensant aux personnes âgées, avec notamment des portes larges pour faciliter l’accès en fauteuil roulant à toute personne à mobilité réduite. Pour les DeCaen, tout dans ce déménagement leur apportait une tranquillité d’esprit, et le père espérait y passer toute sa retraite.

En 2022, les 16 unités ont été vendues à Farley Rentals Inc. pour 4,2 millions de dollars, selon les registres immobiliers. Les documents fournis par Mme Marcoux et les DeCaen montrent que les locataires recevaient chaque année des formulaires N1 annonçant une augmentation annuelle du loyer correspondant à l’augmentation maximale autorisée par le gouvernement provincial sur la base du taux d’inflation. Cependant, après avoir obtenu leur augmentation régulière pour 2025, les 200$ supplémentaires ont été rajoutés. Mme Marcoux a fourni une copie de l’avis reçu par sa belle-mère, une lettre datée du 8 août 2024, qui indique que «à compter du 1er janvier 2025, votre loyer mensuel sera augmenté de 200$», ce qui porte son loyer de 1 594,85$ à 1 794,85$ par mois, soit une hausse de 12,5% alors que la province n’avait autorisé que 2,5% pour 2025. Mme Marcoux affirme que sa belle-mère n’est pas la seule à avoir accepté cette augmentation, car la plupart des locataires ont décidé de payer pour éviter tout conflit avec leur propriétaire.

En effet, Guy DeCaen affirme que son refus a donné lieu à une campagne de harcèlement à son encontre. «Le gouvernement de l’Ontario a dit que c’était 2,5%, et c’est tout; 200$, c’était beaucoup trop,» déplore-t-il. Sa fille Elizabeth ajoute que cela a causé des tensions avec l’ancienne compagne de son père, car le couple n’était pas d’accord sur la manière de gérer la situation. «Les tensions étaient vives, elle s’énervait, papa s’énervait, et je disais que ce n’était pas juste. Ils ne peuvent pas faire ça, c’est contraire aux normes gouvernementales,» raconte-t-elle. Elizabeth a envoyé une lettre au propriétaire indiquant leur refus de payer l’augmentation, «puis il a envoyé un type avec un avis d’expulsion,» s’exclame-t-elle. L’avis dont elle parle était un formulaire N12, ou avis de fin de bail, au motif que le propriétaire, un acheteur ou un membre de la famille avait l’intention d’emménager dans le logement.

Bien qu’Elizabeth parle d’avis d’expulsion, il est important de noter qu’un propriétaire n’est pas autorisé à expulser un locataire et que, dans ce cas, la Commission de la location immobilière de l’Ontario (CLIO) aurait été chargée de rendre une décision sur l’avis N12 après qu’il lui ait été soumis. Elizabeth dit avoir appelé la CLIO, qui l’a informée de cela en assurant aussi que si quelqu’un avait soumis le formulaire N12, son père aurait été informé d’une date d’audience. Un formulaire N12 peut être imprimé et rempli à volonté à partir du site web de la CLIO, mais tant qu’il n’est pas officiellement déposé, le N12 n’est pas applicable. Ainsi, il semble qu’aucun des trois formulaires reçus n’ait été officiellement soumis à la CLIO, car M. DeCaen n’a reçu aucun avis d’audience.

Le premier de ces formulaires N12 était daté du 5 septembre 2024 et signé par un dénommé Maaz Khan, avec une case cochée indiquant que cette personne était le propriétaire. Deux autres formulaires N12 ont été envoyés le 25 avril et le 18 juin 2025. Sur ces documents, la même case indiquant qu’ils étaient signés par le propriétaire est cochée, mais ceux-ci sont signés par un nommé Ajlal Pervez. Sur tous les formulaires, la raison cochée pour mettre fin à la location est que la personne qui a l’intention d’emménager dans le logement, indiquée comme «moi», est le propriétaire lui-même.

Les DeCaen affirment que recevoir ces trois avis N12 en l’espace de quelques mois a été une épreuve déchirante pour l’ancien couple, provoquant des tensions et de l’anxiété quant à la précarité de leur situation de logement. Le fait de se demander constamment où ils iraient s’ils étaient soudainement expulsés de leur logement était stressant, d’autant plus que la mobilité est un enjeu important pour Guy, comme pour beaucoup de personnes âgées. Ils craignaient de ne pas trouver un logement suffisamment accessible pour lui et abordable sur le marché locatif actuel.

Aujourd’hui, devant l’avis de vente de son logement, M. DeCaen dit qu’il reste prêt à se battre. Pour Elizabeth, la demande de 200$ n’est peut-être pas si élevée, étant donné que son père paie un loyer bien inférieur au prix du marché actuel, mais là n’est pas la question. Ils ne refusent pas de payer parce qu’ils n’en ont pas les moyens, mais parce qu’ils craignent que cela ne devienne une pente glissante. «D’accord, c’est 200$ aujourd’hui. Et demain? Est-ce que ce sera encore 200$ lorsqu’ils renouvelleront leur bail? Puis encore l’année suivante? Quand cela s’arrêtera-t-il,» s’interroge-t-elle. Elle ajoute que d’autres locataires paient déjà un loyer bien plus élevé que son père et qu’on leur a demandé les mêmes 200$ de plus, ce qui l’amène à conclure qu’il y aura d’autres augmentations à l’avenir.

Farhan Mahmood est le gestionnaire immobilier et le porte-parole de Farley Rentals. La Tribune a contacté M. Mahmood pour connaître le point de vue des propriétaires, qui selon lui est un groupe de 10 personnes qu’il représente. Il explique que les propriétaires ont décidé d’acheter ces unités comme résidence secondaire ou «chalet» dans la région, avec l’intention d’y emménager à leur retraite afin de ralentir leur train de vie. Il raconte qu’ils viennent de la région de Kitchener, Guelph et Waterloo, où les prix sont beaucoup plus élevés, et qu’après un boom économique dans la région, le mode de vie a changé. «Sturgeon Falls nous rappelle ce qu’étaient Kitchener et Guelph il y a 20 ans, c’est pourquoi ils voulaient y déménager. On veut retrouver ce qu’on a connu en grandissant,» explique-t-il, ajoutant qu’ils sont tombés amoureux de la région.

Comme l’explique M. Mahmood, après avoir acheté les logements, les 10 propriétaires ont décidé de continuer à les louer jusqu’à leur retraite. Cependant, ils n’avaient pas prévu que les coûts allaient monter en flèche, et ce qui devait être un bon plan de retraite est en train de devenir un énorme gouffre financier. Rien que les impôts fonciers pour chacun des 16 logements s’élèvent à environ 3 700$ par an, ayant augmenté de 5% par an, affirme-t-il. Les factures de chauffage, d’électricité et d’eau, toutes comprises dans le loyer des locataires, ont également augmenté. Pire encore est le coût de l’entretien, qui, selon lui, s’élève à 37 000$ par an rien que pour le déneigement. «Personne ne s’attendait à ce que les coûts augmentent autant,» déplore-t-il, ajoutant que certains acheteurs travaillent davantage pour compenser ces coûts et que l’un d’entre eux se trouve dans une situation financière très précaire.

M. Mahmood a présenté les mêmes explications à l’agente immobilière Natalie Paquin, de Century 21, lorsqu’il lui a demandé de vendre les appartements. Elle croit que les propriétaires perdent effectivement de l’argent et que la vente est «logique d’un point de vue commercial.» Elle a initialement accepté le contrat, mettant en vente deux appartements séparément au prix de 490 900$ chacun, M. Mahmood lui ayant indiqué qu’il continuerait à mettre en vente les autres, deux appartements à la fois. Elle a mis les propriétés en vente le 12 novembre, mais à peine 24 heures plus tard, l’annonce a été retirée, car Mme Paquin a commencé apprendre des détails inquiétants et s’est retirée.

Selon elle, M. Mahmood n’avait pas l’intention d’avertir les locataires de la mise en vente des logements, ce qui n’est pas contraire aux règles mais constituait pour elle un problème d’éthique. Elle a donc rédigé une lettre expliquant la situation aux locataires et a fait du porte-à-porte pour les informer. Elle a alors passé quatre heures à écouter leur version des faits, à entendre leurs doléances et leurs craintes. Mme Paquin a commencé à douter de l’honnêteté du propriétaire, qui lui avait dit par exemple que tous les locataires avaient refusé de payer les 200$ supplémentaires, alors qu’en réalité, la majorité d’entre eux les payaient.

Un autre élément qui a éveillé ses soupçons, c’est que les deux logements mis en vente en premier étaient justement ceux des locataires qui avaient refusé de payer ces 200$. Elle a appris que le troisième locataire qui avait refusé avait déjà quitté son logement par frustration et acheté une nouvelle maison. Ce logement vacant allait servir de «maison modèle» pour les visites d’acheteurs potentiels. «Je ne savais pas qu’il les harcelait,» a-t-elle déclaré après avoir entendu les locataires. «Ça me brise le cœur.»

Elle a quitté les locataires en larmes, incapable d’effacer de son esprit l’image de leurs visages angoissés. «Un homme est en fauteuil roulant, une femme est sous respirateur artificiel (…) Je vois encore leurs visages,» raconte-t-elle. Bien qu’elle comprenne les motivations commerciales, elle n’était plus à l’aise à l’idée de poursuivre la mise en vente. «Le lendemain, je suis allée installer la pancarte, et je n’arrêtais de pleurer,» se souvient-elle. Elle s’est dit : «Je ne peux pas leur faire ça.» Elle a appelé son patron et lui a dit qu’elle voulait se retirer, qu’elle ne pouvait tout simplement pas participer à cette affaire, et il lui a donné son accord. Ensuite, elle est retournée voir les locataires pour leur dire qu’elle avait abandonné la mise en vente, tout en les avertissant que quelqu’un d’autre le ferait sans doute à sa place. «Ce ne sont pas tous les agents qui ont une conscience,» leur a-t-elle dit.

Ainsi, les locataires sont toujours au point de départ, avec la menace d’expulsion qui pèse sur eux. M. DeCaen estime que cette mise en vente relève davantage d’une tactique d’intimidation ciblée. Cependant, M. Mahmood soutient que ce n’est pas le cas, qu’il essaie simplement de soulager les propriétaires et qu’il espère même les convaincre de reporter la vente.

En fin de compte, les 16 locataires et les 10 propriétaires seraient tous victimes d’un marché immobilier en crise, qui ne répond plus à la demande, selon M. Mahmood. Il admet que les locataires n’ont rien fait de mal, leur seul tort étant de vivre là et d’avoir été soumis à des augmentations de loyer qui n’ont pas suivi le marché et l’inflation galopante. Le fait que les loyers ne couvrent plus les dépenses actuelles n’est pas de leur faute, et il souligne que ce n’est pas non plus la faute des propriétaires qui ont été frappés par une explosion des coûts. «S’il y avait suffisamment de logements, il n’y aurait aucun problème,» dit-il, ajoutant que ces 16 locataires et les 10 propriétaires auraient tous une maison de retraite idéale, à un prix raisonnable, et que tout le monde serait heureux s’il n’y avait pas eu de crise et d’inflation. C’est un problème plus gros que ce seul conflit, souligne M. Mahmood, blâmant le gouvernement pour des problèmes systémiques.

En attendant, sans intervention ou sans miracle qui ferait apparaître un nouveau quartier capable d’accueillir ces personnes âgées, l’incertitude règne. Cependant, Elizabeth est catégorique : quoi que leurs propriétaires leur réservent, les locataires ont des droits, et elle les encourage à les exercer. «Cessez de payer les augmentations. Informez-vous. Appelez la Commission de la location immobilière. Connaissez vos droits,» exhorte-t-elle. En ce qui concerne la vente des logements, elle estime qu’ils ne doivent pas non plus paniquer, car tout nouveau propriétaire serait tenu d’honorer le bail actuel. «Il vient avec l’appartement,» dit-elle en désignant son père.

Bien sûr, cela vaut si l’acheteur n’a pas l’intention d’emménager, car la loi autorise un propriétaire ou un membre de sa famille à reprendre le bail. Pour l’instant, la seule chose certaine, c’est que rien n’est certain.